Et si finalement, c’était faux ? Et si finalement cette perception qu’on en a, était erronée ? Et si finalement les arts-martiaux n’étaient pas du tout des arts de la paix, mais des arts de la guerre ?
D’ailleurs, si on regarde juste le nom « art martiaux », martiaux vient de « martial », étymologiquement de Mars, le dieu de la guerre chez les romain. D’après le dictionnaire de la langue française ce qui est martial « concerne la guerre et les armées ».
Donc littéralement, lorsque l’on dit que les art-martiaux sont des arts de la paix, on est juste en train de dire que les arts de la guerre sont des arts de la paix, donc que la guerre c’est la paix…
Avec ça on peut aussi se poser la question du lien entre art et guerre. Si on parle de la stratégie guerrière alors pourquoi pas. La stratégie est un art. Si on parle de l’aspect artistique des mouvements et techniques de combat, alors pourquoi pas aussi.
En revanche, si on parle des corps déchiquetés, ensanglantés et démembrés sur un champ de bataille, le lien est moins évident… Alors, d’aucuns diront que la guerre peut être une manière d’obtenir la paix en final.
C’est possible.
Ceci étant, je ne suis pas sûr que si on propose cette définition aux personnes qui sont en train de vivre dans des endroits en guerre, ils perçoivent cette paix dans ce qu’ils vivent…
Et d’ailleurs, il n’est pas rare qu’une paix obtenue par la guerre soit accompagnée de ressentiment et d’envie de revanche, donc de nouvelles guerres potentielles…
Peut-on alors vraiment parler de paix ?
Je n’ai pas la réponse, je pose juste la question.
Le raisonnement qui va suivre n’a aucune prétention de vérité absolue. Il n’est que le reflet d’une réflexion actuelle fruit d’une expérience passée et présente. Réflexion qui elle-même n’est pas figée et peut être amenée à évoluer avec le temps.
Quand on parle d’arts martiaux, on fait en général référence aux disciplines de combat anciennes asiatiques, et souvent plus spécifiquement japonaises et chinoises. D’ailleurs le mot « art-martiaux » n’a été qu’une tentative de traduction du mot budo en japonais ou wushu en chinois.
En chinois, le mot wushu (武术) est composé de 2 caractères :
- 武 (wu) qu’on retrouve dans le mot 武器 (wuqi : arme) pourrait se traduire par « combat »
- 术 (shu) pourrait se traduire par « technique »
En japonais, le mot budo (武道) est aussi composé de 2 caractères :
- 武 (bu) le même caractère qu’en chinois mais avec une prononciation différente
- 道 (do) qu’on pourrait traduire par « chemin », « voie »
Le wushu / budo, littéralement veut donc dire « technique de combat » ou « voie du combat ».
Chose assez intéressante cependant, le mot kungfu (功夫) n’est originellement pas spécifiquement lié aux arts-martiaux. « Kungfu » correspond à une discipline qu’on acquière et qu’on maitrise à force d’entrainement, d’engagement, de persévérance et de temps.
Par exemple un boulanger qui a de l’expérience et qui fait du très bon pain, on pourra dire qu’il a un très bon kungfu. Rien à voir, donc, avec l’aspect martial.
Maintenant, un combattant, à force d’entraînement, d’engagement, de persévérance et de temps de pratique peut aussi développer / acquérir un bon kungfu.
Et c’est sur cet aspect-là que je voudrais passer un peu plus de temps et peut-être tenter d’apporter un éclairage différent au lien qu’on met entre arts-martiaux et paix.
Pour ça je propose qu’on fasse un saut en arrière de quelques siècles, en Asie, par exemple en Chine, du temps où la vie humaine ne valait pas très cher et où les guerres entre tribus, royaumes, pays, etc… étaient monnaie courante.
Un soldat, pour qu’il puisse survivre sur un champ de bataille, devait forcément maîtriser un minimum les techniques de combat, principalement avec armes, mais aussi à mains nues.
S’il arrive face à un ennemi et qu’il ne sait pas se servir suffisamment bien de son épée, son sabre, sa lance, ou autre, il risque d’y rester assez vite.
La première chose qu’il a donc à faire est de s’entraîner et de pratiquer pour développer une maîtrise suffisante de ses techniques et de son corps. En s’entraînant, il va aussi développer une certaine force, et de l’endurance pour pouvoir tenir sur la durée. La technique pour un combattant est donc primordiale.
Maintenant, pour pouvoir être réellement efficace dans le temps il se doit d’avoir un corps qui tienne sur la durée. Il doit donc en prendre aussi soin. S’il est très bon techniquement, mais qu’il tombe souvent malade ou que son corps ne tient pas l’effort, ça risque d’être compliqué pour lui. La santé physique est donc un aspect très important à maintenir s’il veut avoir plus de chances de rester en vie.
Il doit donc apprendre aussi à développer sa santé physique pour garder et développer son énergie.
Qui dit santé physique dit prendre soin du corps sous tous ses aspects. La base étant une nourriture saine et aussi de savoir se guérir rapidement en cas de maladie ou de blessures.
Pour se guérir il existait plusieurs manières, notamment la connaissance des plantes et aussi, quelque chose que les chinois ont développé il y a très longtemps mais qui ne commence que tout doucement à être accepté en occident, c’est tout ce qui touche à cette énergie qui circule dans le corps à travers des canaux qu’on a traduit par « méridiens ».
Savoir débloquer et harmoniser la circulation de cette énergie dans le corps permet de développer une santé suffisante permettant de mieux combattre.
Cette harmonisation de la circulation d’énergie peut se faire à travers l’ingestion de certaines plantes, la stimulation de certains points par pression (sur cutanée ou intra cutanée) ou simplement par un travail postural spécifique et/ou de respiration.
La santé (physique et énergétique) est donc aussi primordiale pour un combattant s’il veut augmenter ses chances de survie.
Mais ce n’est pas encore assez.
Imaginons que notre soldat se soit entraîné au point de très bien maîtriser sa technique, qu’il ait pris bien soin de son corps et de sa santé et que donc il soit très résistant, endurant et plein d’énergie, mais que, arrivé sur le champ de bataille, il soit paralysé par la peur de mourir…
Tout ce qu’il aura fait avant ne lui aura servi à rien, car il a beau être un très bon technicien et en excellente santé, s’il perd tous ses moyens à cause d’une peur paralysante sur un champ de bataille, ses chances de survie sont très faibles.
Pour ça, il devra aussi travailler sur un apaisement émotionnel et psychique.
Le travail énergétique qu’il aura fait pour l’aspect physique a aussi un impact sur l’aspect émotionnel. L’émotion étant aussi une énergie, quand on équilibre l’énergie dans le corps on rééquilibre aussi les émotions.
Ceci étant, la peur de la mort est quelque chose de très viscéral, de très profond, directement lié à la survie de l’espèce. Dépasser cette peur de la mort relève plus que d’un « simple » rééquilibrage émotionnel.
Dépasser la peur de la mort relève d’un travail spirituel, d’un travail qui doit apprendre à transcender l’ego, la personnalité et tout ce qui fait qu’on s’attache à notre vie humaine sur terre.
Un travail qui va permettre d’accepter la mort avec sérénité comme faisant partie de la vie. A ce niveau-là, la mort ne fait plus peur car elle est complètement intégrée à la vie. Pas de manière macabre et morbide où on va chercher à valoriser la mort au mépris de la vie, mais plutôt une acceptation de l’un et de l’autre comme étant intrinsèquement liés, quelque chose qui se complète, comme les deux faces d’une même pièce.
Mais alors, arrivé à ce niveau-là d’éveil spirituel où la notion de vie et de mort n’existe plus en tant que tel, où tout attachement égotique a été dissout et dépassé, les notions même de pouvoir, de domination et donc de guerre, perdent tout leur sens, car celles-ci sont en général le résultat de batailles d’egos parfois surdimensionnés.
Arrivé à ce niveau -je suppose- qu’on vit dans un état de paix intérieure, de détachement (qui est différent de la dépossession) de la condition humaine et des batailles d’ego tel, que la guerre elle-même ne fait plus sens et n’a même plus lieu d’être.
Je suppose qu’on vit et ressent encore les émotions (on reste quand même humain), mais on ne va plus s’y accrocher, elles ne vont plus être aveuglantes, ni nourrir des ressentiments liées à des frustrations égotiques, quelles qu’elles soient.
A ce niveau-là de réalisation de soi, le combattant perd même tout intérêt pour la guerre, pour l’aspect martial, car il expérimente un état de paix intérieur permanent ou toute dualité et conflit interne n’existe plus.
La pratique des arts-martiaux dans cet achèvement amènerait donc le pratiquant, en final, à dépasser et se détacher de l’aspect martial pour expérimenter une paix intérieure.
Les arts-martiaux, à ce niveau d’accomplissement ultime, seraient-ils donc, en fin de compte, un chemin pour développer l’art de la paix intérieure ? Et le combat « 武 » (wu / bu) ne serait-il pas plutôt un combat intérieur plus qu’un combat avec des ennemis extérieurs ?
Je n’ai pas la réponse, je pose juste la question…Pour lire la deuxième partie de l’article, cliquez ici