L’art des contradictions 3

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On voit bien donc que le travail à ces différents niveaux n’est pas un entraînement qui va nous permettre de maîtriser des techniques de plus en plus complexes et efficaces, mais plutôt un travail de restructuration de plus en plus profonde qui va nous permettre de ramener de la cohérence dans notre corps et notre esprit.

La progression ne se fait donc pas sous la forme de techniques de base que l’on doit bien maîtriser et dont on doit bien se souvenir pour pouvoir en greffer d’autres de plus en plus complexes par-dessus, mais plutôt comme un ré-apprentissage de l’utilisation de notre corps, de notre mental et de nos ressentis, à la manière d’un enfant qui apprend à marcher.

Lorsque l’enfant sait courir, il ne saurait plus expliquer comment il faut faire pour tenir en équilibre debout et faire un pas devant l’autre sans tomber. Ce n’est pas qu’il a oublié les bases, c’est qu’il les a juste intégrées complètement et que maintenant il les utilise sans s’en rendre compte.

En yiquan c’est pareil. Quand on monte dans les niveaux, on ne rajoute pas des techniques supplémentaires, on intègre juste de plus en plus profondément les apprentissages.

A ça, on peut rajouter le fait que, au sein d’un même niveau, chaque aspect de l’entraînement va enrichir les autres et en même temps s’enrichir des autres :

  • Les postures vont permettre de ressentir la force sur des tout petits mouvements.
  • Les shili vont permettre de la ressentir sur des mouvements plus amples et vont donc aider à mieux se positionner et mieux la ressentir dans les postures. Et en même temps, un bon ressenti dans les postures permet d’avoir un meilleur ressenti en shili.
  • Les fali (explosion de force) ne sont jamais que des shili qui explosent. Donc si on veut que le positionnement et le ressenti de l’explosion soit correct, les shili doivent l’être aussi. Et le travail sur l’explosion va aider à mieux se positionner et mieux ressentir les shili, en statique et en déplacement.
  • Les poussées des mains ne sont jamais que des « shili à deux » : on apprend à ressentir sa posture, son positionnement, ses forces… en les confrontant avec quelqu’un d’autre. Donc une bonne sensation dans les shili va aider à être meilleur en poussée des mains, et le travail des poussées des mains va aider à savoir ce qu’on doit corriger et mieux ressentir dans les shili.
  • Pareil pour le combat en lien avec les poussées des mains, car les poussées des mains ne sont pas une fin en soi, mais une préparation au combat rapproché…

On voit donc clairement que cette sensation de force, si on veut bien la sentir, doit obligatoirement être confrontée avec d’autres. C’est le seul moyen qui va nous permettre de nous tester réellement.

Si on ne reste que seul on peut avoir des sensations qui nous paraissent intéressantes, mais qui confrontées avec un partenaire, ne tiennent pas forcément. Dans ce cas, c’est donc que le ressenti et/ou la posture ne sont pas corrects.

Certaines personnes peuvent être tentées de ne vouloir s’entraîner que seules. C’est à mon sens une erreur qui est un très bon moyen de faire fausse route, car si on ne teste jamais son ressenti avec quelqu’un d’autre on peut rester dans quelque chose de, au mieux que théorique et au pire complètement fantasmagorique, déconnecté de la réalité.

Or si on veut vraiment ressentir ce niveau de connexion multidirectionnel et l’incarner en nous, il est nécessaire de l’ancrer dans la réalité, et la réalité passe par une confrontation avec les autres.

Le mot « confrontation » est ici utilisé dans son sens littéral, à savoir se tester front à front avec l’autre. Cette confrontation peut tout aussi bien se faire de manière souple et douce que de manière plus « rentre dedans ».

Pour embrasser toute la subtilité, la profondeur et la puissance du yiquan dans son entièreté, il est donc nécessaire de travailler tous ces aspects, de manière ajustée.

Ceux qui ne sont intéressés que par l’aspect combat sans passer par le travail des postures et des shili / fali, font de la boxe (anglaise, thaïe, française…), du mma, du full contact, karaté, etc… (qui est très bien aussi) mais ça n’est pas du yiquan et ils passent complètement à côté de ce que peut apporter le yiquan.

Ceux qui, pendant l’entraînement, travaillent les postures, les shili… mais ne sont que dans la densité et la puissance, passent aussi à côté d’une bonne partie de ce que peut apporter le yiquan, car hunyuan li c’est le plein et le vide en même temps. Et le ressenti de vide ne peut pas se faire si nous même ne sommes que dans le plein.

De la même manière, ceux qui ne travaillent qu’exclusivement le vide, l’absorption, l’évitement sans tester les explosions, les percussions ou les poussées réelles passent aussi à côté d’une bonne partie du yiquan car il leur manque le travail du plein, et risquent donc aussi de ne pas avoir une structure suffisamment solide.

De l’autre côté, du spectre, ceux qui font le travail de posture, et de shili avec une envie de ne travailler exclusivement que la santé et/ou une connexion « spirituelle » mais sans se confronter avec d’autres, restent dans de la théorie désincarnée, donc vide, qui manque profondément d’ancrage et de lien avec la réalité.

Or même le spirituel pour qu’il ait du sens se doit d’être profondément incarné et ancré, sinon on se retrouve avec du concept intellectuel, mental, un peu comme une coquille vide qui n’apporte rien de concret et qui n’élève pas vraiment l’esprit pour autant. Si le spirituel ne reste qu’une théorie, belle, lointaine, inaccessible, parfois un peu fumeuse mais n’apporte rien et ne s’ancre pas dans la vie de tous les jours, à quoi sert-il ?

Un arbre ne peut monter haut que si ses racines sont profondes.

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