L’art des contradictions 2

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Je reconnais que ce concept n’est pas forcément facile à saisir car il est assez contre intuitif par rapport à notre manière habituelle de vivre les choses au quotidien.

Intégrer cette sensation, demande donc un réapprentissage complet de notre manière d’appréhender notre corps, de le ressentir et d’utiliser notre intention, car les trois doivent être cohérents.

Une fois que cette sensation est intégrée, on peut assez facilement percevoir son intérêt dans les applications martiales :

– Stabilité beaucoup plus grande et en même temps fluidité et rapidité dans le mouvement

  • Ressentir toutes ces forces amène un ancrage profond, et en même temps comme elles sont déjà présentes dans toutes les directions, c’est comme si le mouvement était déjà présent, donc les changements de directions sont plus fluides et rapides

– Impact plus fort et percussions plus explosives

  • Si dans chaque coup c’est l’intensité du corps entier qui part, l’impact sera plus fort que s’il n’est donné que par une seule partie déconnectée du reste

– Efficacité plus grande en combat

  • Ressentir ces forces chez l’autre permet de sentir à quels endroits il est vide (= sa défense est plus faible) et donc où il sera plus efficace de rentrer pour le déstabiliser, pour plus d’impact dans le coup, dans la poussée…

Ceci étant, les applications de ce ressenti peuvent aussi se retrouver dans d’autres domaines comme par exemple, les massages (pression plus profonde et plus douce tout en se fatigant moins grâce à une utilisation plus globale du corps), le port de charges (répartition plus équilibrée des forces dans le corps lors de la portée, donc risque de blessures nettement plus faible)…

Maintenant toute la question est : comment ressentir « hunyuan li » ?

Il existe plusieurs approches qui permettent d’y arriver, et toute discipline martiale pourrait prétendre permettre, avec du temps et de la pratique, de s’en rapprocher ou même de l’expérimenter pleinement.

La difficulté est que, si dans la théorie et originellement c’était peut-être possible pour beaucoup d’approches, aujourd’hui, cette transmission s’est énormément perdue et peu de gens arrivent, déjà à l’expérimenter et ensuite à le transmettre de manière suffisamment didactique.

J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un, Yao Chengguang, qui non seulement l’expérimente dans la vie de tous les jours mais qui en plus a mis au point un système d’enseignement qui permet d’apprendre pas à pas à expérimenter ce ressenti et à l’appliquer – dans sa version martiale.

Je disais plus haut que le Yiquan est une discipline qui amène à une reconstruction physique et mentale. Quelque part c’est un peu comme si on réapprenait à se servir différemment, de manière plus connectée et cohérente, de notre corps, nos ressentis et notre intention.

La force de l’approche de Yao Chengguang est qu’il l’a structurée en plusieurs niveaux. A chaque niveau on voit toutes les postures, les déplacements, les techniques… bref tout ce qui existe en yiquan mais à un certain niveau d’intention, d’amplitude, de rapidité des mouvements et d’explosivité. A chaque niveau supérieur, on reprend les mêmes postures, déplacements et techniques, mais avec une intention différente, des combinaisons de forces différentes, des mouvements de plus en plus courts, rapides et explosifs. De cette manière on apprend petit à petit à combiner toutes les directions de forces en même temps, avec tout le corps quel que soit la position, la posture ou le mouvement.

De plus, en montant dans les niveaux, la différence entre attaque et défense devient de plus en plus floue pour qu’en final chaque attaque, tout en étant pleinement une attaque soit en même temps pleinement défensive, et inversement.

Premier niveau :

C’est le niveau le plus fondamental car il va permettre d’apprendre à restructurer sa posture de corps et à initier la création de lien entre l’intention, le ressenti et le mouvement.

Dans ce niveau, on va commencer à créer des connexions avec les différentes parties du corps entre elles en ressentant ces liens sur des tout petits mouvements (grâce aux postures d’enracinement) et sur des mouvements plus amples en statique et en dynamique (grâce à ce qu’on appelle les tests de force – « shili »), c’est-à-dire qu’on va commencer à amener de la cohérence et de la connexion dans le corps, mais aussi entre le corps, l’intention et le ressenti. On va également apprendre à combiner des directions de forces dans chaque mouvement et à travailler l’explosivité sur des mouvements d’abord assez amples, permettant de s’assurer d’une posture correcte.

Si on devait comparer ce niveau à l’apprentissage de la marche quand on est bébé, c’est un niveau qui va permettre d’apprendre à faire les premiers pas : comment on tient en équilibre debout et comment on met un pied devant l’autre sans tomber.

Deuxième niveau :

A cette étape, le but va être de renforcer la connexion entre les différentes parties du corps et ramener de la densité à l’intérieur.

On va recommencer exactement les mêmes techniques, postures, applications… qu’au niveau précédent, mais cette fois-ci avec une intention qui va permettre au corps de s’entraîner à ne faire qu’un seul bloc et qu’il soit plus dense. Le but est vraiment de densifier et unifier et on va commencer à rajouter un ressenti de forces opposées, tout en gardant les combinaisons de forces du premier niveau.

A ce niveau les mouvements sont plus courts, plus rapides et plus explosifs.

Si on devait garder notre comparaison avec l’enfant. On pourrait dire qu’à ce stade on sait rester en équilibre debout et on apprend à marcher sur des petites distances sans se tenir.

Troisième niveau :

Après avoir travaillé la densité, on va ici plus insister sur la légèreté et la fluidité. De la même manière que pour les autres niveaux, on va recommencer à travailler exactement les mêmes postures, techniques, applications, de manière à ancrer tout le travail précédent mais cette fois-ci avec des mouvements encore plus courts, rapides et explosifs et en rajoutant d’autres sensations de forces opposées.

Ici, si on garde notre comparaison avec l’apprentissage de la marche, on peut dire que c’est la phase où on apprend à trottiner et à courir.

Et plus on monte dans les niveaux, plus les mouvements vont être courts, rapides et explosifs et plus on va rajouter des combinaisons de forces opposées pour en final arriver à ce que dans chaque posture, dans chaque mouvement, en statique et en dynamique, on ressente partout dans le corps, cette force dans toutes les directions en même temps.

Dans ces niveaux avancés, on peut même commencer à toucher du doigt l’aspect plus spirituel avec le travail de la présence à soi et à son environnement dans toutes les directions en même temps, un peu comme s’il existait une connexion permanente entre soi et tout ce qui nous entoure, qui fait qu’on est nous-même partie intégrante de ce qui nous entoure, qu’il y a un lien avec quelque chose de plus grand que nous.

Suite dans le prochain article.

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